Initiative: reconstruire le dialogue interreligieux en République Centrafricaine

Publié le 22 Juin 2015

Initiative: reconstruire le dialogue interreligieux en République Centrafricaine

Par le Frère Emmanuel Dumont, op

Rappel sur la situation en République Centrafricaine depuis 2012

Entre 2012 et 2015, la République centrafricaine a connu une guerre civile meurtrière. Les miliciens Seleka, musulmans à majorité, ont pris le pouvoir et multiplié des violences arbitraires anti chrétiennes. L’Etat ne pouvant assurer leur sécurité, une partie de la population non-musulmane s’est vu obligée de mettre sur pieds des groupes d’auto-défense : les anti-balakas. Les massacres se répondent les uns contre les autres et en trois ans, plusieurs milliers de personnes sont assassinées ou violentées et plusieurs centaines de milliers fuient l’insécurité. Le conflit a beau être identifié comme artificiel et partisan par beaucoup, les violences, incontrôlables, restent étiquetées religieusement : l’appartenance religieuse devient alors une solidarité tacite avec des meurtriers.

Initiative: reconstruire le dialogue interreligieux en République Centrafricaine

Initiatives des frères dominicains en République Centrafricaine

Les frères dominicains de Centrafrique, arrivés juste au début des conflits, ont subi ces violences en première ligne. Depuis, ils soutiennent les populations locales par l’enseignement, la prédication et l’assistance. Et aujourd’hui, alors que beaucoup de frères ont eu des membres de leurs familles assassinés, ils essaient de reconstruire la paix. Leur diagnostic est le suivant : La méfiance est à la base de la violence. Reconstruire la paix passe par la reconstruction de la confiance. Cela se fait à plusieurs niveaux.

Au niveau des responsables religieux, une commission de dialogue a été créée dès 2012. Elle a d’ailleurs contribué à la négociation des accords de paix. Elle compte 15 représentants des trois confessions catholique, protestante et musulmane. L’archevêque de Bangui, Monseigneur Dieudonné Nzapalainga ainsi que notre frère Justin Ndéma en font partie. La confiance créée ici entre les représentants permet à certaines actions d’être menées ensemble : négociations politiques, libération d’otages, mais aussi distribution d’aide alimentaire et sanitaire aux populations de toutes confessions et prises de positions communes sur l’évolution de la société civile.

Les frères touchent aussi des leaders de quartier, laïcs ou religieux pour les aider à relayer la confiance. Des opérations de sensibilisation sont faites et petit à petit, le message passe : « il faut vivre selon la fraternité et non la politique ». Des opérations concrètes sont menées. Par exemple, en avril 2015 un groupe de jeunes chrétiens du quartier Lakuanga ont pris l’initiative de reconstruire une mosquée détruite par des miliciens. Ces jeunes ont donné de leurs propres moyens pour rétablir la confiance inter communautaire, avant d’être soutenues par des ONG.

Mais de manière générale, c’est le peuple qui a perdu confiance en l’autre : chrétiens et musulmans ne vivaient pratiquement plus ensemble. Chacun s’est réfugié dans des quartiers distincts, chacun entretient le souvenir des atrocités dues à l’autre et « enferme l’autre dans sa peur ». Alors, le frère Justin, avec une sœur combonienne, Elianna Baldi, ont mis au point une émission hebdomadaire sur radio Notre-Dame.

Le but est de faire connaître l’autre, musulman ou chrétien, pour faire baisser la défiance. Ils sillonnent donc Bangui depuis quelques mois pour interroger les uns et les autres, n’hésitant pas à pénétrer dans le dernier quartier musulman de la ville. Qu’ont-ils vécu ? Comment vivent-ils aujourd’hui ?... Et musulmans et chrétiens les écoutent, leurs écrivent, leurs font des suggestions, leurs livrent leurs expériences. L’initiative est humble, mais concrète et constructive. Les freins sont encore nombreux : les souvenirs des atrocités sont vifs, les deuils sont durs, les plus jeunes sont traumatisés, les amitiés interconfessionnelles sont rompues, beaucoup ne veulent plus entendre parler de l’autre et ceux qui dialoguent apparaissent alors comme des traitres. Heureusement, les plus âgés se souviennent de l’époque de la cohabitation pacifique. Et la détermination des volontaires de paix fait gagner du terrain à la confiance.

Aujourd’hui, les frères Dominicains du Vicariat d’Afrique Equatoriale élaborent un projet de création d’un collège avec internat à Bangui. Le terrain est acheté, il reste à monter les partenariats. Ce lieu de sciences et de fraternité pourrait aider à semer les valeurs de la paix dans le cœur de la jeunesse.