Ce que dit la foi: l'esclavage dans les lettres de Saint Paul

Publié le 11 Septembre 2014

Par le Frère Hervé Ponsot, op.

Le frère Hervé Ponsot est professeur de Nouveau Testament. Vous pouvez consulter son blog "Biblicom, la Bible dans tous ses états" et découvrir un de ses récents ouvrages sur l'Apôtre Paul intitulé Saint Paul, autobiographie 2014

En commençant cette note, il me faut adresser deux avertissements à mon lecteur/auditeur :

  1. Je suis de ceux qui considèrent que la pseudépigraphie paulinienne, autrement dit le fait que Paul ne serait pas l’auteur direct ou indirect des lettres qui lui sont traditionnellement attribuées et qui sont au nombre de 13, est une cause tout à fait discutable, en tout cas très mal assurée : dès lors, je ne fais pas de distinction entre les 13 lettres de Paul.
  2. Par ailleurs, et surtout, il faut bien comprendre que Paul se meut dans un environnement socio-politique très différent du nôtre, dans lequel l’ordre, sous toutes ses formes, est une valeur essentielle. Il est l’héritier de l’auteur du premier chapitre de la Genèse, dans lequel Dieu met de l’ordre dans sa création, lorsqu’il écrit en 1 Corinthiens 14,33 : « Dieu n'est pas un Dieu de désordre, mais de paix » ; il l’est encore lorsqu’il invite les femmes, dans un propos qui scandalise souvent aujourd’hui, à « se soumettre à leurs maris » (Colossiens 3,18 ; Ep 5,22), alors qu’il s’agit, comme le verbe grec traduit par soumettre le montre clairement, de respecter un ordre constitutif de paix. D’autres exemples pourraient être apportés, mais ceux-là suffisent à souligner le fait que, pour Paul, l’ordre social doit être respecté, en particulier parce que Dieu l’a voulu tel.

Le texte phare ou le « billet à Philémon »

La lettre la plus courte rédigée par Paul ne compte que 25 versets : elle est souvent qualifiée de billet, comme on en écrivait beaucoup à l’époque afin d’exprimer quelques salutations et une requête. Paul est alors prisonnier et il renvoie vers son protégé, Philémon, un esclave fugitif, Onésime. Selon la loi romaine, l’esclave en question encourait une lourde peine, mais comme il s’était converti au christianisme aux côtés de Paul, ce dernier propose à Philémon de l’accueillir comme un frère, autrement dit de renoncer à le châtier.

Ce qui frappe le lecteur d’aujourd’hui, c’est que Paul n’invite aucunement Philémon à affranchir Onésime, mais seulement à l’accueillir en frère : il était parti esclave, il rentre apparemment esclave, mais esclave converti. Certes, on peut imaginer que cette conversion, et l’appartenance à une même communauté chrétienne, pousseront Philémon à offrir un nouveau statut à Onésime, mais rien n’est dit à ce sujet. En tout cas, Paul ne le demande pas ! Dans la première lettre aux Corinthiens, il avait d’ailleurs déjà écrit : « Étais-tu esclave, lors de ton appel ? Ne t'en soucie pas. Et même si tu peux devenir libre, mets plutôt à profit ta condition d'esclave. Car celui qui était esclave lors de son appel dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur; pareillement celui qui était libre lors de son appel est un esclave du Christ » (7,21-22).

Pour Paul, comme on va le voir maintenant, si l’esclavage pose question à son époque, c’est au plan spirituel, en particulier avec la loi mosaïque, mais non pas au plan social.

L’esclavage de la loi mosaïque

Si le terme d’esclavage doit être prononcé dans le cadre de la littérature paulinienne, c’est en effet en rapport avec la loi de Moïse, plus encore avec le péché qui n’est qu’une conséquence des interdits de cette loi. Paul s’exprime un peu à ce sujet en Ga 3, mais surtout en Rm 6-7 : dans la période, environ cinq ans, qui s’écoule entre ces deux lettres, certains prétendent que Paul a changé de point de vue sur la loi ; de mon point de vue, il l’a plutôt approfondi.

Quoi qu’il en soit, n’étant pas là pour traiter de la loi mosaïque, mais de l’esclavage qu’elle crée, je me contente de rappeler la position de Paul à ce sujet : la loi donne la connaissance de la faute, et donc du péché, mais ne permet absolument pas d’y remédier. Dès lors, l’homme sous la loi porte le poids de ce péché, qui l’entraîne dans des abîmes de plus en plus profonds. Paul exprime cela en Rm 7 dans des versets fameux : « vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l'accomplir : puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas. Or si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui accomplis l'action, mais le péché qui habite en moi » (19-20).

Le voilà aux yeux de Paul le véritable esclavage, et il n’est pas relatif à une situation sociale, mais spirituelle. Paul lui connaît heureusement une issue, le Christ.

La libération en Christ

En Rm 3, en référence à la fête du Grand Pardon (Yom Kippour), Paul utilise un vocabulaire très particulier, celui de l’expiation, du sacrifice, du rachat, en rapportant tout à la personne du Christ et à sa présence dans le monde. Ce que Paul exprime ici, dans une formulation un peu compliquée, est que la Christ, par sa mort sur la croix et sa résurrection, a « payé » pour le péché de l’homme et a libéré celui-ci de tout esclavage, en particulier celui de la Loi. Il le redira d’ailleurs au tout début du chapitre 8, v. 1-2 : « Il n'y a donc plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont dans le Christ Jésus. La loi de l'Esprit qui donne la vie dans le Christ Jésus t'a affranchi de la loi du péché et de la mort ». Plus tard, en Col 2,14, Paul écrira encore dans le même sens : « Il a effacé, au détriment des ordonnances légales, la cédule de notre dette, qui nous était contraire; il l'a supprimée en la clouant à la croix ».

Pour Paul, cette libération est primordiale : elle détruit en effet l’esclavage fondamental et ôte son pouvoir de mort à l’Adversaire. L’antique serpent du livre de la Genèse a perdu la partie.

Conclusion

En Ga 3,28, Paul écrit : « « Il n’y a ni juif ni grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme, car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus », une affirmation qu’il réitérera pratiquement dans les mêmes termes en Col 3,11. À prendre au pied de la lettre de telles affirmations, Spartacus avait toutes les raisons de se révolter…

Dans l’esprit de Paul, et au-delà de lui toute la société chrétienne, il fallait l’entendre en priorité de la vie ecclésiale. Mais cela ne restera pourtant pas sans incidence sur la société humaine parce que, comme l’écrit fort bien un commentateur en ligne sur cette question : « alors que les maîtres se libèrent de leurs instincts possessifs, les esclaves perdent leur sentiments d’infériorité, conscients d’appartenir avec leurs maîtres à la famille du Christ » (L’épître à Philémon ou Paul et l’esclavage, sur http://www.portstnicolas.org/article67).