Une initiative: le camping de Ponches

Publié le 22 Juin 2014

Par le Frère Emmanuel Dumont, op et Céline François

Alors que frère dominicain Michel Perret, le dernier membre de l’équipe des prêtres ouvriers de Hellemmes, nous a quittés en mars dernier, il nous a paru opportun d’évoquer une réalisation de cette équipe, à savoir, le camping de Ponches. Il s’agit d’un camping associatif auto-géré, créé il y a plus de 60 ans pour le monde ouvrier. Une réussite qui perdure aujourd’hui avec bonheur.

Une initiative des frères dominicains d'Hellemmes: extrait d'un film-documentaire "Quelqu'un quelque part... Mes vacances au Vieux Moulin" de Charlotte de Decker. DVD- Éditions La Ducasse, la CRRAV, 2006, avec l'aimable autorisation des auteurs.

Si des initiatives d’Église existent, principalement en direction des enfants, comme celles du Secours Catholique, qui permet à des enfants dès l'âge de 6 ans de partir en vacances avec une famille désireuse de partager ses propres vacances, peu nombreuses sont celles qui visent la famille au complet. Une belle initiative a vu le jour en 1956 sous l'impulsion des prêtres-ouvriers dominicains de la rue Jean-Bart d'Hellemmes[1], près de Lille, et fait encore la joie de nombreuses familles aujourd'hui.

L’histoire des prêtres ouvriers, a marquée l’Église de France et l’Ordre des Prêcheurs, depuis la premier initiative sur les docks marseillais en 1942, jusqu’à aujourd’hui. Leur interdiction entre 1954 et 1964 est aussi bien connue. Mais peu savent que ces années ont aussi été créatives. Les prêtres ouvriers ont cherché à rejoindre leur terre de mission, le monde ouvrier, par d’autres moyens que par le travail : ils les ont rejoints par les vacances.

Partant du constat que le prix des infrastructures disponibles à l'époque pour accueillir les vacanciers étaient hors de portée pour des familles à petits salaires ou des familles nombreuses, le Père Jacques Screpel, dominicain et prêtre ouvrier, réfléchit avec le comité de la rue Jean-Bart [2], à « une formule abordable pour des congés à bon marché, au bénéfice de camarades de la Région Nord/Pas de Calais »[3]. Le projet d'un camping populaire ouvrier autogéré voit bientôt le jour au vieux moulin de Ponche-Estruval, dans la Somme, à 1h30 de Lille. Ils achètent un terrain en empruntant sur 25 ans. Ils l’aménagent avec les moyens du bord : jardin d’enfant, sanitaires, épicerie, buvette, salle de fêtes… Et ils sont rapidement une centaine à découvrir le lieu pour le lancement de l’initiative. En 1977, les différents clubs du camping organisent déjà un vingtième anniversaire festif : la présence d’un club des jeunes comme celle d’un club des aînés témoigne déjà d’un encrage intergénérationnel. D’après Jacques Screpel, Ponches est alors indispensable pour des campeurs qui ne pourraient probablement pas partir sinon : « La perspective des vacances polarise toute la vie de l’année. (…) Comment un mois de vacances réussies, à bas prix, peut compenser onze mois de déshumanisation… ». Tout le monde cohabite ici, quelque soient les secteurs d’activités, les engagements syndicats ou les approches spirituelles.

Sans salarié, mais avec des personnes de bonne volonté, le camping accueille encore chaque été, pour un tarif peu élevé, des familles, pour la plupart des habituées. Les seuls gestionnaires sont les vacanciers eux-mêmes. Bénévolement, ils se partagent les tâches quotidiennes tout au long de l'année et les animations en période estivale (animations des soirées, des activités de journée, buvette...). Le camping dispose de 120 emplacements, peut recevoir 400 vacanciers. Si à l'origine, les personnes d'Hellemmes étaient les plus nombreuses, aujourd'hui, les vacanciers sont principalement du Pas-de-Calais et 80% des campeurs sont des habitués… depuis plus de 30 ans.

L'esprit d'origine du Père Jacques demeure encore aujourd'hui pour les familles habituées du camping depuis de nombreuses années. La présence régulière et l'investissement du Frère Michel Perret, dominicain, dernier prêtre ouvrier du 118 à Hellemmes, permettait sans doute ce travail de mémoire. Il est décédé en mars dernier, alors que nous nous apprêtions à l'interviewer pour relater l'histoire de ce projet.

Puisse l'association Jean Bart poursuivre avec joie cette initiative à destination des familles modestes.

[1] « Les frères dominicains établis au 118 rue Jean-Bart à Hellemmes, ont incarné pendant un demi-siècle l'engagement de l'Église auprès des ouvriers. Cette communauté est fondée en 1948 par cinq frères, dont Jacques Screpel, prieur du couvent dominicain de Lille. Avec l'autorisation de l'évêque, Mgr Liénart, les frères deviennent ouvriers, partagent le quotidien et les luttes de leurs camarades». Extrait de http://pretres-ouvriers.fr/clefusb/lrevue_de_presse_rn_lourdes/ajournaux/htemoignage.pdf

[2] La communauté de la rue Jean-Bart, d'Hellemmes-lez-Lille regroupait les prêtres ouvriers dominicains habitant au 118 et la communauté chrétienne qui se rassemblait autour des frères. Elle prenait en charge des problèmes familiaux et sociaux du quartier.

[3] Dominicains ouvriers d'Hellemmes : Chronique d'un demi-siècle de François Leprieur, Éditions Karthala, p 139